L'Enfant, drame rural
de Carole Thibaut
Mise en scène de Carole Thibaut
Avec Marion Barché, Thierry Bosc, Eddie Chiragna, Sophie Daull, Emmanuelle Grangé, Fanny Santer, Boris Terral, Donatien Guillot
"Il est revenu Petit revenu", l’enfant que tout le monde croyait définitivement enterré dans la mémoire collective des habitants de ce village isolé d’une province de Navarre.
L’écriture de Carole Thibaut, un style qui n’est pas sans rappeler les personnages excentriques de La Comédie humaine de Balzac.Une étude des murs imprégnée de l’influence sociale, géographique et psychologique où l’homme est sujet à controverse. L’auteure a séjourné trois mois en résidence d’écriture dans une bourgade de l’Isère, à Saint-Antoine l’Abbaye. L’idée lui est venue de collecter des témoignages de femmes. Des histoires encore plus vraies que nature, surtout quand elles sont portées de la bouche de celles qui les ont vécues.Lumière sur l’image hologrammée d’un enfant qui se détache dans l’obscurité de la scénographie. Qui est-il ? Que dit-il ? Une femme mentalement affectée semble troublée par l’enfant déposé sur le seuil de sa maison. N’arrête-t-elle pas de dire "Il est revenu, il est revenu Petit revenu". Vingt ans ont passé dans cette chaumière recluse du village où vivent l’Idiote et le Vieux. Soudain, l’enfant réveille des souvenirs douloureux, la braise ravive une histoire alimentée par les rumeurs. Les consciences sclérosent le mutisme des habitants du village, à la tension s’apparente une forme de monstruosité. Le Maire est de toutes les confidences, les gens lui témoignent respect et taisent le qu’en-dira-t-on. Le comptoir du bar de Patrice supporte les coudées franches et les on-dit des habitués, Marcel et Gérard. L’enfant est confié à la sœur du Maire, laquelle ne s’embarrasse pas de le garder et décide de le donner à Marie et à Jean.La scénographie, une invitation à découvrir l’intimité et le désuvrement des habitants de ce hameau. La vie s’y est arrêtée le jour où les enfants sont devenus des hommes et des femmes. L’isolement de ce territoire égaré se manifeste par le filet tendu de part et d’autre du plateau, lequel filtre les sentiments et les soupçons. La désolation se lit sur les regards et se remarque sur le physique des protagonistes, la lumière alterne entre clair-obscur et violence. Le spectateur pourrait intervenir pour adopter l’enfant qui passe de main en main. En lui, aussi petit soit-il, il y a un peu de tout le monde et peut-être beaucoup de soi. L’indifférence génère le dégoût, la déviance des sentiments dérange car elle donne naissance à une perversité nombriliste. La mère du Maire, interprétée par Emmanuelle Grangé, est une vieille femme acariâtre et exigeante. L’image d’Epinal librement opposée à la grenouille de bénitier, en principe gentille, curieuse et un rien commère. Le Vieux, Thierry Bosc, incarne un père blasé par les malheurs, un rien bourru et attachant. L’Idiote est jouée par Fanny Santer, une présence marquante et décomplexée avec l’arrivée inopinée de l’enfant. L’instinct maternel ne l’a jamais vraiment quittée, même si elle n’a plus tout à fait sa tête. A qui la faute ?Fanny Santer une comédienne entière et généreuse. Eddie Chignara, dans le rôle du Maire, couvre plusieurs personnages en un. Un homme dont le parcours n'a pas toujours été aussi léger à porter que l’écharpe tricolore. Ce comédien se révèle une nouvelle fois excellent et soucieux d’apporter à son personnage l’exigence requise. Marion Barché interprète Marie, une jeune femme de ménage naïve et sincère. Fluide comme sa gentillesse et généreuse dans ses sentiments, elle n’est pas dupe pour autant et crie intérieurement sa colère quand elle découvre la coucherie de Jean son mari, Boris Terral, avec la sur du Maire, Sophie Daull. Le talent de Marion Barché se lit dans ses yeux et s’apprécie par la qualité manifeste de sa prestation.La mise en scène de Carole Thibaut prend sa source dans des extraits de récits de vie adaptés au décor de la pièce. La mécanique de l’ordinaire devient insupportable car sont passés en revue les moindres travers de ces gens de peu qui s’activent en monstruosité existentielle. L’enfant est un drame au pluriel car les galeries de portraits présentés révèlent l’inhumain qui se cache derrière l’homme. Cette pièce condamne l’impalpable et met en lumière les codes et les rites véhiculés dans les territoires reculés.L’Enfant, drame rural, une fiction qui ne laisse pas indifférent et ouvre le débat sur les effets du communautarisme rural et urbain.
Philippe Delhumeau
04/10/2012
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