La Tragédie du Roi Christophe
de Aimé Césaire
Mise en scène de Christian Schiaretti
Un Shakespeare venu d’ailleurs. Les affres de la décolonisation sur la scène du monde. Solitude du pouvoir et paranoïa. Une fable d’hier pour expliquer l’époque d’aujourd’hui à l’heure de la mondialisation. Le baroque d’Aimé Césaire entre la farce et la haute poésie.
Une foule bigarrée envahit le plateau, borné par un podium, sur lequel ont pris place des musiciens – piano, basse, percussion, violoncelle et une chanteuse. Cette ambiance de volière aux accents créoles nous porte vers un cercle où s’affrontent deux coqs géants. L’assistance, par jeu, a donné aux volatiles les noms de Pétion et de Christophe. On est ici à Saint-Domingue, ancienne colonie française d’où la métropole tirait son sucre, son café et son tabac. Après la révolte de Toussaint-Louverture, la répression de Bonaparte confiée à son beau-frère le général Leclerc, le pouvoir du général Dessalines, la république d’Haïti, à peine née, est aux prises avec deux personnages : le métis Alexandre Pétion au sud et Henri Christophe au nord.Cet ancien esclave noir, cuisinier et son état, devenu général, s’est fait proclamer président à vie. L’étincelle de l’indépendance a jailli une décennie plus tôt, au cours d’une cérémonie vaudou : ces esclaves fugitifs pour la plupart se tournaient ainsi vers leurs sources africaines pour dessiner l’avenir. C’est donc de La Nuit du Bois-Caïman 14 août 1791 qu’est né Haïti. Le Président Christophe, treize ans plus tard, en est bien conscient et il révère ce sang neuf. Le Sénat de Port-au-Prince, lui apporte la confirmation de son titre, mais la constitution qu’il lui propose, si alambiquée, le prive de tous pouvoirs. Il la refuse et, au nom du peuple et de la civilisation qu’il veut introduire, se proclame roi.
Le couronnement est le moment fort de la pièce d’Aimé Césaire. Par jeu de lumières et projections de tuyaux d’orgue, on se retrouve au cœur du sanctuaire. C’est l’archevêque Corneille Brelle qui opère. Le souverain est entouré d’une cour, à l’instar de celle de Napoléon, avec des femmes en robe Empire et « une forêt de plumes sur la tête ». Les officiers, quant à eux, arborent les mêmes uniformes que Ney, Lannes ou Murat ou le maréchal Ney. Comme à Paris, aux Tuileries, chacun et chacune portent un titre et là, on s’enfonce dans le ridicule, le burlesque. Belle parodie de la noblesse ! Ainsi côtoie-t-on le duc de La Limonade, le duc de la Marmelade, le duc de Dondon, voire même le comte du Trou Bonbon. Le spectateur rit et cette pantalonnade lui rappelle le sacre de Bokassa. Mais, une fois de plus la réalité s’est inspirée de la fiction… Car le fameux couronnement date de 1977 et "Le Roi Christophe" de 1963. Faut-il y voir dans cette pièce le triomphe de la paranoïa ? Peut-être, mais l’auteur, Aimé Césaire va plus loin. Il parle en homme politique et il a cette vision des affaires de ce monde. Lui-même, rappelons-le, fut un député de La Martinique et le maire de Fort de France. Il prêche pour sa paroisse et n’hésite pas écrire : "la politique c’est le destin en marche". Aussi la folie d’un roi a tout de même quelque chose de bon : il oblige ses sujets à prendre la mesure du pouvoir qu’il représente. Et l’Etat Louis XIV et Napoléon, mais il manque le principal au Roi Christophe : des siècles de civilisation derrière lui. Lui, travaille en terre vierge et il a du mal à faire oublier son infamie d’esclave. Il lui faut gagner du temps, beaucoup de temps. En voulant le rattraper et bâtir, il tyrannise son peuple, plus que ses anciens maîtres, les colons. Le symbole de sa tyrannie, c’est une citadelle qu’il fait construire sur un roc à pic et, redondant, il déclare : "A ce peuple qu’on voulut à genoux, il fallait un monument qui le mit debout !" Coupé de plus en plus de ses sujets, le roi Christophe s’enferme dans la solitude des dictateurs, mais l’ivresse du pouvoir le grise toujours. Le metteur en scène lance un clin d’œil : au dernier acte, Christophe porte le jogging de Fidel Castro. Faisant référence à lui mais aussi aux potentats africains, Aimé Césaire dénonce le piège de la décolonisation. Les lendemains qui chantent ne chantent pas pour tout le monde.
Christian Schiaretti signe cette magnifique production colorée à souhait avec une foule sans cesse en mouvement. C’est l’âme noire qu’il met en scène, s’appuyant sur l’auteur avec fidélité, un Aimé Césaire qui revendique pour toutes les Antilles une appartenance africaine et, ici, plus particulièrement le Dahomey où le vaudou a fait florès. Schiaretti a eu l’idée de marier certains de ses comédiens avec le Collectif Béneeré, originaire de Ouagadougou.D’où ce théâtre total à la dimension des trois continents. Trente-sept personnes apparaissent sur les planches : elles jouent, chantent, dansent. Il faudrait toutes les nommer, car chacune vit sa partition. Mais deux nous émergent, un peu plus que les autres. Le premier, celui de Marc Zinga, étonnant Christophe débordant de verve et d’imagination, avec un regard parfois hypnotique. Il nous écrase, mais, vers la fin, génère notre pitié on a bien affaire à une tragédie comme le titre l’indique. Le second acteur, qui campe Hugonin parasite, bouffon et agent politique, c’est Emmanuel Rotoubam Mbaide. Lui-même appartient au Collectif Béneeré, Son personnage est un véritable clown, souple comme une liane, charmeur et plus que libertin quand il lutine une de ces belles noires aux formes généreuses.
Mais la mise en scène baroque et foisonnante de Schiaretti - patron du TNP de Villeurbanne – ne s erait rien sans le texte de l’auteur à la poésie rare. On en ressort bouleverser. Et, à travers Vastey, le secrétaire du roi (Marcel Mankita) on entend la voix d’Aimé Césaire, à la dernière scène :
"Roi, sur ses épaules, nous l’avons conduit
Par la montagne, au plus haut de la crue
Ici,
Car ton chemin avait nom :
Soif-de-la-Montagne.
Et te revoilà roi debout,
Suspendant sur l’abîme ta propre table même
Triale.
Vous astres au cœur friable
Vous nés du bûcher de l’Ethiopien Memmon
Oiseaux essaimeurs de pollens
Dessinez-lui ses armes non périssables
D’azur au phénix de gueules couronné d’or."
Le couronnement est le moment fort de la pièce d’Aimé Césaire. Par jeu de lumières et projections de tuyaux d’orgue, on se retrouve au cœur du sanctuaire. C’est l’archevêque Corneille Brelle qui opère. Le souverain est entouré d’une cour, à l’instar de celle de Napoléon, avec des femmes en robe Empire et « une forêt de plumes sur la tête ». Les officiers, quant à eux, arborent les mêmes uniformes que Ney, Lannes ou Murat ou le maréchal Ney. Comme à Paris, aux Tuileries, chacun et chacune portent un titre et là, on s’enfonce dans le ridicule, le burlesque. Belle parodie de la noblesse ! Ainsi côtoie-t-on le duc de La Limonade, le duc de la Marmelade, le duc de Dondon, voire même le comte du Trou Bonbon. Le spectateur rit et cette pantalonnade lui rappelle le sacre de Bokassa. Mais, une fois de plus la réalité s’est inspirée de la fiction… Car le fameux couronnement date de 1977 et "Le Roi Christophe" de 1963. Faut-il y voir dans cette pièce le triomphe de la paranoïa ? Peut-être, mais l’auteur, Aimé Césaire va plus loin. Il parle en homme politique et il a cette vision des affaires de ce monde. Lui-même, rappelons-le, fut un député de La Martinique et le maire de Fort de France. Il prêche pour sa paroisse et n’hésite pas écrire : "la politique c’est le destin en marche". Aussi la folie d’un roi a tout de même quelque chose de bon : il oblige ses sujets à prendre la mesure du pouvoir qu’il représente. Et l’Etat Louis XIV et Napoléon, mais il manque le principal au Roi Christophe : des siècles de civilisation derrière lui. Lui, travaille en terre vierge et il a du mal à faire oublier son infamie d’esclave. Il lui faut gagner du temps, beaucoup de temps. En voulant le rattraper et bâtir, il tyrannise son peuple, plus que ses anciens maîtres, les colons. Le symbole de sa tyrannie, c’est une citadelle qu’il fait construire sur un roc à pic et, redondant, il déclare : "A ce peuple qu’on voulut à genoux, il fallait un monument qui le mit debout !" Coupé de plus en plus de ses sujets, le roi Christophe s’enferme dans la solitude des dictateurs, mais l’ivresse du pouvoir le grise toujours. Le metteur en scène lance un clin d’œil : au dernier acte, Christophe porte le jogging de Fidel Castro. Faisant référence à lui mais aussi aux potentats africains, Aimé Césaire dénonce le piège de la décolonisation. Les lendemains qui chantent ne chantent pas pour tout le monde.
Christian Schiaretti signe cette magnifique production colorée à souhait avec une foule sans cesse en mouvement. C’est l’âme noire qu’il met en scène, s’appuyant sur l’auteur avec fidélité, un Aimé Césaire qui revendique pour toutes les Antilles une appartenance africaine et, ici, plus particulièrement le Dahomey où le vaudou a fait florès. Schiaretti a eu l’idée de marier certains de ses comédiens avec le Collectif Béneeré, originaire de Ouagadougou.D’où ce théâtre total à la dimension des trois continents. Trente-sept personnes apparaissent sur les planches : elles jouent, chantent, dansent. Il faudrait toutes les nommer, car chacune vit sa partition. Mais deux nous émergent, un peu plus que les autres. Le premier, celui de Marc Zinga, étonnant Christophe débordant de verve et d’imagination, avec un regard parfois hypnotique. Il nous écrase, mais, vers la fin, génère notre pitié on a bien affaire à une tragédie comme le titre l’indique. Le second acteur, qui campe Hugonin parasite, bouffon et agent politique, c’est Emmanuel Rotoubam Mbaide. Lui-même appartient au Collectif Béneeré, Son personnage est un véritable clown, souple comme une liane, charmeur et plus que libertin quand il lutine une de ces belles noires aux formes généreuses.
Mais la mise en scène baroque et foisonnante de Schiaretti - patron du TNP de Villeurbanne – ne s erait rien sans le texte de l’auteur à la poésie rare. On en ressort bouleverser. Et, à travers Vastey, le secrétaire du roi (Marcel Mankita) on entend la voix d’Aimé Césaire, à la dernière scène :
"Roi, sur ses épaules, nous l’avons conduit
Par la montagne, au plus haut de la crue
Ici,
Car ton chemin avait nom :
Soif-de-la-Montagne.
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Triale.
Vous astres au cœur friable
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D’azur au phénix de gueules couronné d’or."
Pierre Breant
07/03/2017
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