Naples millionnaire !
de Eduardo De Filippo, Huguette Hatem
Mise en scène de Anne Coutureau
Avec Eloïse Auria, Pierre Benoist, Francesco Calabrese, Patrick Courteix, Cécile Descamps, Emmanuel Gayet, Pascal Guignard, Gaëtan Guilmin, David Mallet, Pauline Mandroux, Sacha Petronijevic, Sophie Raynaud, Perrine Sonnet
Inédite en France, la pièce d'Eduardo de Filippo, Naples millionnaire, est mise en scène par Anne Coutureau au théâtre La Tempête.
Eduardo de Filippo a adapté l'écriture de ses pièces de théâtre selon les événements qui ont marqué sa vie d'auteur et d'homme. Ce n'est pas par hasard si Audiberti l'appelait "le Molière italien". Un éloge pour cet auteur né avec le XXe siècle qui avait commencé par écrire des comédies. A l'instant où il pose le point final de la pièce Napoli milionaria !, la Seconde Guerre mondiale sonne encore le glas en Europe. Dans les rues de Naples, les bombardements, la peur, la faim ont effacé toute trace de vie antérieure où aux odeurs de lessive se mêlaient les chants napolitains.En 1942, la famille Jovine survit comme elle peut dans cette Italie endeuillée par le nazisme et blessée par le fascisme. Le plateau s'éclaire sur la pièce à vivre composée de vieux meubles d'époque, l'intimisme d'une chambre dissimulée derrière un rideau de fortune et un grand lit situé à l'opposé. Le linge blanc étendu de part et d'autre de la pièce disparaît dans une mécanique gestuelle habilement maitrisée. La mère de famille mène commerce de marché noir, les denrées de base se vendent chères au prix de l'intolérance. Le père désapprouve ces transactions illicites et colère avec ménagement son insatisfaction. La pièce à vivre ressemble à une place publique où tout le monde se donne rendez-vous autour d'une tasse de café pour palabrer de choses et d'autres. Des futilités de la vie qui exaspèrent notre homme et rameute l'opinion à qui voudra l'écouter déambuler dans des discours politiques dont personne ne pipe mot.Dans son allusion "La taxation, ça sera la misère de l'humanité", il y a matière à poser la réflexion sur la table. Image chaotique d'une famille déchirée par la disparition du père, la mère qui avilie les plus honnêtes contribuables à les réduire à néant, une fille qui feint la réalité car éprise d'un soldat américain, un fils enrôlé dans un trafic de voitures volées au côté de Peppe-le-cric.La petite entreprise de la mère prospère et son associé n'a pas le cur en reste car il éprouve des sentiments à son égard. Le retour du père après deux ans d'absence bouleverse ses espoirs d'amant éconduit.La mise en scène d'Anne Coutureau s'adapte à l'écriture d'Eduardo de Filippo. Elle livre une pièce de théâtre traduite avec des mots puisés dans l'horreur du moment. Cette mise en forme dramatique est subtile car elle restitue au théâtre les codes du langage populaire. Dans la scène du faux-mort, la narration prête à rire car les personnages jouent allégrement la comédie jusqu'au bout. Les jeux de lumière filtrent le ridicule de situation et ne s'arrêtent pas sur un élément en particulier. Pièce sombre et pessimiste, la gravité des regards interroge le pathos sans exagération.Une scène intense avec cette réplique : "Il faut laisser la nuit passer" , la porte à double battants de la maison s'ouvre sur la nuit et l'inconnu subsiste car la vie de la petite dernière tient à un fil. Les pleurs sont sous camouflés car si la tension est palpable, les comédiens ne tremblent pas. La guerre est une prison dont les limites sont des murs physiquement invisibles et perceptibles dans les rapports de force établis entre les hommes.Une galerie de personnages pittoresques et sincères, des morceaux de vie détachés le temps d'un conflit et retrouvés dans une euphorie faisant oublier les séquelles d'hier. La guerre n'est pas terminée et pourtant la conscience des hommes construit un pont entre malheur et bonheur, respect et liberté.Dans cette mise en scène, il y aurait un mot à écrire en caractère gras valorisant la prestation de tous les comédiens et le travail d'Anne Coutureau: Dignité. Naples millionnaire, un très grand moment de théâtre à voir et à revoir.
Philippe Delhumeau
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