Mort d'un commis voyageur
de Arthur Miller
Mise en scène de Claudia Stavisky
Avec François Marthouret, Hélène Alexandridis, Jean-Claude Durand, Alexandre Zambeaux, Sava Lolov, Matthieu Sampeur, Valérie Marinese, Mickaël Pinelli, Judith Rutkowski, Mathieu Gerin
L’intrigue de la pièce d’Arthur Miller, qui date de 1949, reste tout à fait actuelle. Le problème des relations familiales, notamment des rapports père-fils, le thème des illusions perdues ou encore de l’aveuglement de soi-même sont des thématiques universelles et atemporelles. En outre, même si Claudia Stavisky ne s’est pas forcément intéressée à Mort d’un commis voyageur pour cette raison, c’est une pièce relativement tragique qui fait écho à la crise économique actuelle. Willy Loman, commis voyageur de sa profession, vient d’être "remercié" alors qu’il est en fin de carrière et s’est dévoué corps et âme à son entreprise pendant plus de trente ans. Combien d’employés cinquantenaires ne peuvent se reconnaître en lui ? Combien, comme Willy, ont passé leur vie au travail en espérant obtenir une reconnaissance, une gratification, une médaille qui n’est jamais arrivée ? Grandes sont leurs désillusions lorsqu’ils se rendent compte qu’ils n’ont été qu’un pion sur l’échiquier du monde du travail. Le texte de Miller montre avec beaucoup de justesse l’usure d’un homme et son effarement lorsqu’il perd l’emploi auquel il a voué sa vie.Claudia Stavisky l’a bien interprété en le retraduisant pour l’occasion et en lui rendant sa fin initiale, que Miller avait dû corriger pour clore sur une note moins pessimiste. Elle met ainsi en avant le caractère sombre de l’intrigue. Elle ne s’appesantit pas sur la problématique de l’impitoyable univers de l’entreprise, mais montre plutôt un homme en fin de vie, délaissé par ses fils, soutenu par une épouse qui ne l’intéresse plus vraiment, en quête de sens. S’il ne ramène plus l’argent nécessaire au foyer pour payer les traites, à quoi sert-il ? C’est cette interrogation philosophique sur le "troisième âge" que met en relief la pièce créée au théâtre des Célestins par sa directrice. Comment un homme, à l’heure où il a fini d’élever (avec plus ou moins de réussite) ses enfants, où il a payé sa maison, accompli son devoir d’employé jusqu’au bout de sa carrière, peut-il continuer à vivre et à espérer ?A partir du moment où un metteur en scène possède un texte aussi riche, il se doit de le mettre en valeur, de ne pas l’occulter par une mise en scène tape-à-l’il. C’est ce que fait Claudia Stavisky. Ses acteurs sont convaincants, sa scénographie sobre, le décor de sa pièce simple et efficace : une structure métallique, qui montre à la fois la proximité des individus qu’aucun mur ne sépare et leur emprisonnement (dans leurs rêves auxquels ils n’arrivent pas à renoncer, dans leurs préjugés, dans leurs rancurs...). Seules quelques scènes, telle que la rencontre au bar du père et de ses deux fils, prennent place dans un cadre un peu plus sophistiqué, qui n’évoque pas une époque précise mais sert plutôt à créer une atmosphère. On se laisse ainsi emporter dans cette Amérique des années 1940 qui pourrait tout aussi bien être notre France des années 2010.
Caroline Vernisse
19/10/2012
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