La Guerre de Troie n’aura pas lieu
de Jean Giraudoux
Mise en scène de Nicolas Briançon
Avec Philippe Beautier, Nicolas Biaud-Maudiut, Nicolas Briançon, Olivier Claverie, Emma Colberti, Jean-François Guillet, Lucienne Hamon, Thibaut Lacour, Pierre-Alain Leleu, Pierre Maguelon, Bernard Malaka, Claire Mirande, Elsa Mollien, Thomas Suire, Valentine Varla
La Guerre de Troie n’aura pas lieu est la pièce des paradoxes. C’est une tragédie puisque sa fin est inscrite dès le début de la pièce. Mais c’est aussi une pièce drôle qui mêle la farce et la comédie au drame.
Représentée pour la première fois le 22 novembre 1935 au Théâtre de l’Athénée, La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux fait partie de ces œuvres "panthéonisées" qu’on appelle des classiques – c’est-à-dire, avant tout, des œuvres de première classe. Joué en ce moment au Théâtre Silvia-Monfort, soit plus de soixante-dix ans après sa création, ce chef-d’œuvre n’a pas pris une ride. La juste compréhension du texte, pourtant, dépend en grand partie du contexte historique dans lequel le dramaturge composa cette pièce. L’automne 1935 fut marqué par une situation internationale tendue. Mussolini annexa l’Ethiopie par la force : ce fut la "guerre d’Abyssinie". Face à cette montée en puissance du fascisme, la Société des Nations – le SDN, ancêtre de l’ONU – fut gênée par la complexité des rouages diplomatiques de ses propres membres ; elle resta incapable de résoudre la crise. Diplomate de métier, Giraudoux a transposé cette tentative de résolution sur la scène ; son professionnalisme s’est ainsi résorbé en littérature. On comprend mieux dès lors les innombrables anachronismes qui émaillent la pièce. En effet, même si Giraudoux a choisi de mettre en scène l’ambassade des Grecs auprès des Troyens avant que n’éclate la légendaire guerre de Troie, c’est bien la France des années trente que l’auteur a finement transposée sur cet arrière-plan mythique. De ce décalage, provient en grande partie le comique dont est mâtinée sa tragédie. Ce n’est donc pas trahir l’esprit de la pièce que de remplacer les costumes antiques par des vêtements qui évoquent les années folles et de donner aux comédiens des attitudes et un langage contemporains.Effectivement, ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette pièce que de lancer un défi au temps. Dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu, Giraudoux brave doublement l’Histoire. Le titre, d’abord. Il affiche le refus de voir le triomphe de la fatalité. Chacun sait qu’elle aura lieu, la guerre, puisque l’Histoire en a décidé ainsi. Mais la pièce est là pour retarder, de deux heures au moins, la fin inéluctable d’une rencontre diplomatique parasitée par l’aveuglement grotesque des uns et la maladresse stupide des autres. Le sujet, ensuite. Il marque la volonté d’entrer dans l’ère du mythe, qui n’est pas celle de l’Histoire. La guerre de Troie, c’est la guerre par excellence. C’est la guerre emblématique, que le Destin a voulue pour donner aux poètes la matière de leurs chants. La guerre de référence, qui s’actualise chaque fois que les hommes montrent leur incapacité fatale à éviter le conflit (et qui s’actualisa d’une manière inoubliable seulement quatre ans après la création de la pièce…). Aller voir La Guerre de Troie n’aura pas lieu, c’est donc s’exposer intelligemment à une réflexion de circonstance sur la destinée des nations, tout en riant confortablement de la bêtise humaine et en goûtant la langue enlevée de Giraudoux. Des intérêts que l’ample mise en scène de Nicolas Briançon et le jeu tout en justesse des comédiens ne font que rendre plus savoureux encore.
Sylvain D.
14/12/2006
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