Cavalleria Rusticana et Paillasse
de Pietro Mascagni, Ruggero Leoncavall
Mise en scène de Fabrizio Maria Carminati, Jean-Claude Auvray
Le vérisme dans tous ses états
Présenter au cours de la même soirée Cavalleria Rusticana et Paillasse relève de nos jours un exploit... Dans ces deux drames de la jalousie qui s’achèvent par des coups de couteau meurtriers, chantres du vérisme qui peuvent facilement tomber dans les pires outrances vocales ou scéniques, le metteur en scène Jean-Claude Auvray impose une approche (venue d’Orange) très personnelle, conçue un peu comme une tragédie grecque dans des décors de toiles peintes et des costumes modernes plus méditerranéens que nature dus au talent de Rosalie Varda."La tragédie c’est quand il n’y a plus rien à faire..." Dès le début de Cavalleria, les trois protagonistes principaux savent que tout est perdu pour eux, que "le destin est le maître", implacable, que la mort est la seule issue. Le drame psychologique de la belle Santuzza, délaissée par son amant Turridu qui en aime une autre, et va provoquer sa perte, abonde en morceaux de bravoure, défilés traditionnels des churs, avec son non moins inévitable côté folklorique, heureusement réduit au minimum.Mais la note personnelle d’Auvray perce à travers la trame déjà tissée avant lui. Cernant avec acuité les caractères des différents personnages, il leur permet de bien se définir les uns par rapport aux autres, les deux rôles féminins de Santuzza et Lucia sont en ce domaine une véritable réussite. La première est la plaque tournante de l’uvre. Béatrice Uria Monzon, à la santé vocale irrésistible, d’une beauté suffocante on comprend mal son abandon ! lui confère toute la grandeur de la passion contenue et brisée. La Magnani ou la Mangano ne sont pas loin.Luca Lombardo possède-t-il la voix vaillante et forte du bellâtre sicilien ? Pas forcément, mais son interprétation est très convaincante ; cet éternel jeune homme (là on attend un macho priapique de belle envergure !) chante un brillant "brindisi" et des adieux à sa mère Lucia (étonnante jeunesse de Viorica Cortez) avec des accents émouvants.La mise en scène de Paillasse rend ensuite un hommage sans complaisance au monde du spectacle. Mais ici, les saltimbanques semblent avoir perdu leur entrain dans cette approche où éclate la réalité toute crue et cruelle des banlieues sinistrées d’après-guerre, un peu comme dans La Strada du Maître Fellini.Encore une fois le théâtre rejoint la vie, cette image sonore du destin brisé, chantre du vérisme le plus pur, le plus dur faisant toujours son petit effet. Il faut pour le rôle-titre un ténor dont la vaillance vocale puisse se plier à toutes les nuances du sentiment. Là aussi, la psychologie du personnage est complexe, et pour le rendre attachant, il importe que le chant ne se limite pas à des prouesses, mais qu’il apparaisse comme l’expression naturelle de la souffrance, de l’amertume, du désespoir. Bref, il faut que l’on y croie. Tel un cyclone venue de l’Est, Wladimir Galouzine, balaie tout sur son passage, sa voix est éclatante, son timbre épanoui, son phrasé exact.Nedda, sa femme, à la scène comme à la ville , sensuelle, volontaire, trouve en Nataliya Tymchenko une interprète délicate, sensible, "petit oiseau craintif" capable de fouetter l’infirme démonique Tonio, mais aussi de se blottir entre les larges épaules du beau Silvio. Le mexicain Carlos Almaguer passe sans difficulté d’Alfio à Tonio, de la rage vengeresse du cocu, à l’ample déclamation du célèbre prologue voulu par Leoncavallo avec une voix de baryton comme on n’en fait plus, solaire, survitaminée à souhait, qui se déguste comme une téquila dosée à point.La baguette de Fabrizio Maria Carminati joue le jeu sans vergogne et respecte la diabolique intensité expressive des deux ouvrages. L’ensemble est conduit avec violence, enthousiasme mais aussi délicatesse quand il le faut pour mieux nous précipiter, tête baissée dans les stridences de la passion déchaînée. Orchestre et masse chorale au-dessus de tout soupçon.
Christian Colombeau
06/02/2011
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