La mort de Claude Martin, 60 ans et des poussières, déclenche une vraie guerre de succession. Celle liée à son patrimoine bien sûr. Mais succession de témoignages aussi, où les huit femmes de sa vie vont raconter par bribes cet homme énigmatique. Et s’affronter, autour de la dépouille... Construit tel un puzzle, "Huit Claude ou la vie fragmentée d’un boiteux" oscille entre l’enquête policière, le délire d’une psychanalyse incontrôlée et la pure comédie aux dialogues ciselés. L’absurdité assumée des situations vient s’ajouter au mystère de ce portrait elliptique. Un ovni théâtral déjanté.
En amont, je me suis laissé guider par des images, des ambiances. Le titre m’est apparu comme une évidence. Au-delà d’un jeu de mot amusant, ce "Huit Claude" influença toute l’écriture qui suivit. Sur un mode décalé, il fait évidemment référence au monument de Sartre (Huis-Clos) ainsi qu’à la comédie policière de Claude Thomas remise au goût du jour par François Ozon (Huit femmes). En clair, réunissant sous une même bannière le rapport à la mort (les autres, l’enfer) et les secrets ou les affrontements de ces femmes confrontées à la disparition du mâle dominant. Puis, l’écoute répétée de la bande-originale des "Tontons flingueurs" apporta un éclairage neuf, une ironie permanente qui nourrit en profondeur l’intonation générale du projet. Il fut ensuite plus aisé de laisser libre cours à mon imagination. L’idée maîtresse fut de dessiner le portrait d’un homme. Un portrait parcellaire, imparfait. Incomplet. Mais dans un cadre défini. Les interrogatoires policiers ainsi que les séances de psychanalyse font partie intégrante de l’arsenal de cette comédie qui se veut loufoque. Mais qui sait également prendre son temps. Les silences récurrents et les répétitions chroniques installent une atmosphère goguenarde. Et nous sommes dans une mécanique proche de la folie douce lorsque ces femmes, qui portent toutes le prénom de Claude (sic), doivent faire connaissance... La pièce essaye ainsi de développer la variété des effets et des univers bien distincts. "Huit Claude ou la vie fragmentée d’un boiteux" est un exercice de style amusé, à la construction dramaturgique rieuse s’appuyant sur une évidence : il n’y a aucune vérité incompressible dans les récits, les biographies ou ne serait-ce que dans les mémoires. A quoi se résument un caractère, une existence ? Quel souvenirs laisse-t-on dans l’esprit de celles et ceux que nous avons côtoyés ? Nous trouvons alors autant de vérités que de témoignages. La surprise de la pièce ne provient pas nécessairement de l’histoire à proprement parler assez simpliste bien que le Claude central soit aussi énigmatique que peu fréquentable mais de la neutralité elliptique dont nous est rapporté le récit. Jamais les personnages ne sont jugés. Ils possèdent en eux suffisamment de dérision et de cynisme (de failles et de circonstances atténuantes aussi) pour ne pas avoir à subir les partis-pris de l’auteur. L’amusement suprême est d’espérer qu’à la fin, les spectateurs auront vu un vrai spectacle, auront eu de vrais fous rire, auront partagé un vrai récit... mais que chacun d’entre eux portera un regard unique, aura une interprétation différente de ce qu’il aura vu ou entendu.
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